Dans le cadre de mes parties de l’Appel de Cthulhu, voici une brève présentation du contexte historique de la chronique, qui commence à la fin des années 20. Comme elle se déroule majoritairement aux États Unis, cet article se concentre sur ce pays.

La fin de la grande guerre marque le début d’une période de prospérité et d’insouciance pour les États-Unis, les années folles. Au niveau industriel, c’est une ère de progrès techniques et de croissance, durant laquelle la productivité est décuplée. L’industrie automobile est particulièrement représentative de ce fait, et la fameuse Ford T deviendra l’un de symbole de cette époque, avant d’être progressivement remplacée par sa successeuse, la Ford A, à partir de 1927. L’urbanisation, mise de côté durant la guerre, reprend de plus belle, et les gratte-ciels se multiplient dans les grandes villes, New York devenant le théâtre d’une véritable course pour construire la plus haute tour.

Le pouvoir d’achat augmente, et l’aisance matérielle devient un idéal à atteindre, présenté comme accessible à tous: la consommation de masse est née. Dans le même temps, la publicité se développe de manière intensive, envahissant les ondes radio TSF et les journaux (dont elle occupe jusqu’à 2/3 de l’espace).

Initiée pendant la guerre, la libération des femmes se poursuit. La Flapper  devient rapidement le symbole de la femme affranchie, avec ses cheveux et ses vêtements courts. Elle fume en publique, se maquille et sort pour danser le charleston, le black bottom ou le Lindy. Et elle n’hésite pas à abandonner son rôle traditionnel pour entrer sur le marché du travail et obtenir son indépendance. Les années folles esquissent ainsi un début de libération des mœurs: l’âge moyen du mariage recule et les divorces sont un peu plus fréquents. En 1920, le 19e amendement de la constitution entre en vigueur et donne le droit de vote aux femmes américaines.

La musique de l’époque est sans conteste le jazz, secondé par le blues et le ragtime. Tous ces nouveaux styles musicaux ont vu le jour dans les communautés afro-américaines, mais font aussi fureur dans les populations blanches huppées. Cette ère du jazz ne fait cependant pas l’unanimité: les générations plus anciennes estiment que ces musiques encouragent la décadence de la jeunesse, en accompagnant notamment des danses où les jeunes femmes en sont plus chaperonnées.
Côté cinéma, c’est un véritable âge d’or pour Hollywood: en 1926, les trois quart des films diffusés à l’étranger sont américains, et l’industrie en produit 700 par an. De grandes sociétés sont créées et prennent en main le secteur, comme la MGM et la Warner, tandis que Charlie Chaplin devient une véritable star et que les films parlants apparaissent à partir d’octobre 1927.
Dans un tout autre registre artistique, un projet de sculpture complètement démesuré commence en 1925, le mémorial national du Mont Rushmore, visant à immortaliser le visage des pères de l’Amérique.

Mais les années folles sont aussi marqué par le repli de l’Amérique sur elle-même, et le rejet de l’autre. Le bolchevisme, le syndicalisme et l’anarchisme sont perçus comme dangereux pour la société et sont réprimés. Les briseurs de grèves sont fréquemment employés pour intimider les ouvriers ou faire dégénérer les manifestations en batailles rangées. Les étrangers sont assimilés à ces menaces, et la peur des rouges se double d’un racisme marqué à l’égard des Italiens, des Européens de l’Est, des Russes et des juifs. Dans le même temps, la ségrégation raciale en vigueur depuis le début du siècle se poursuit: les Noirs sont considérés comme des citoyens de seconde zone, qui ne peuvent pas fréquenter les mêmes écoles que les Blancs, ni prendre les transports avec eux, et certains bâtiments leur sont interdits d’accès, comme les restaurants ou les bibliothèques. Le retour en force du Klu Klux Klan est révélateur des tensions raciales et idéologiques de l’époque, et l’organisation ultra-conservatrice assume ses idéaux dans son nouveau slogan: « Native, White, Protestant ».

Le relâchement relatif des moeurs, ainsi que les progrès scientifiques toujours plus nombreux, se heurtent aussi à la résistance des conservateurs et traditionalistes. En 1925, plusieurs états établissent une loi interdisant l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les écoles publiques. Les progressistes essayent de casser la loi par une manoeuvre juridique, mais sans succès.
Une autre question de société divise les États-Unis, celle de la consommation d’alcool. Dès 1920, la loi Volstead interdit la fabrication, la vente, l’achat et la consommation de boissons alcoolisées à plus d’un degrés. Bien qu’elle soit aussi portée par des motivations de santé publique et économiques, la prohibition consacre avant tout la réussite du lobbying des ligues de tempérance. La population se scinde en deux camps: les « dry » prohibitionnistes et les « wet » anti-prohibitionnistes, dans une proportion d’environ un contre trois. La réglementation ne tarde cependant pas à être contournée. De nombreux bars clandestins, les « speakeasies », ouvrent dans la plupart des villes du pays, tandis que les mafias et les gangs se mettent à la contrebande et la fabrication d’alcool. Ce nouveau marché est très lucratif, et la lutte pour son contrôle devient rapidement brutale, et la clandestinité qui l’entoure vole parfois en éclat lors de règlements de comptes sanglants. Ces violentes fusillades érodent peu à peu la sympathie que l’opinion publique éprouve pour ces criminels qui fournissent le pays en alcool.

Enfin, il est important de noter que l’Amérique rurale des années 20 offre un contraste saisissant le reste du pays. Loin de profiter d’une quelconque prospérité, les habitants des campagnes vivent au contraire des temps difficiles. La fin de la Grande Guerre fait chuter la demande en céréales américaines, et les prix du secteur agricole s’effondrent. Laissés de côté par ces années folles, les habitants des zones rurales sont souvent conservateurs et religieux, et soutiennent largement la prohibition. Isolés et économiquement fragilisés, ils bénéficient beaucoup moins de la vague de modernité qui touche les citadins. À titre d’exemple, en 1929 68% des foyers américains ont accès à l’électricité, mais seulement 9% des fermes.